En tant que démocrate convaincu, je me retrouve face à un dilemme : rester fidèle à mes principes de cohérence politique ou soutenir toute initiative susceptible de redonner espoir à un peuple meurtri. Car un peuple qui perd l’espoir cesse de vivre politiquement et se contente de survivre.Décidément, la Guinée est le pays de tous les paradoxes, où aucune règle politique ni philosophique ne semble s’appliquer avec convenance. Nos dirigeants, dit-on souvent dans nos religions, sont à l’image des dirigés. Et pourtant, nos religieux eux-mêmes, dans leur grande majorité, reflètent parfois les travers du pouvoir : ils utilisent la foi comme un outil de soumission, maintenant le peuple dans une servitude morale semblable à celle qu’a connue l’Occident avant son émancipation.
Aujourd’hui, la démocratie et l’État de droit ont disparu de notre paysage. Ils ont laissé place à un régime de peur et de répression qui terrorise les citoyens, muselle les voix critiques et pousse les plus courageux à l’exil. Les partis d’opposition ont été affaiblis par le débauchage de leurs cadres, les emprisonnements arbitraires, la corruption et un acharnement constant contre les plus constants et les plus sincères.
Lors d’une conférence à la Sorbonne ce 11 octobre, le président de l’UFDG regrettait d’ailleurs le manque criant de solidarité internationale face à la dérive autoritaire et aux violations des droits humains en Guinée. Mais au-delà des condamnations, la question essentielle reste entière : comment redonner espoir à une jeunesse désabusée, convaincue que les politiciens sont tous à l’abri pendant qu’elle se bat seule pour survivre ?
Même si les grandes figures de la scène politique sont aujourd’hui mises hors-jeu et que leurs partis ont été suspendus, il subsiste encore des formations membres des Forces Vives autorisées à exister, à l’image du MODEL d’Aliou Bah – lui-même injustement détenu – et de bien d’autres. Ces partis représentent des poches de résistance démocratique qu’il faut renforcer plutôt qu’abandonner.
Le choix de la personne qui devrait porter la responsabilité de représenter l’opposition à cette élection doit obéir à des critères clairs :
- la constance dans les convictions ;
- la rigueur morale ;
- la capacité intellectuelle ;
- et surtout, le fait d’être présent sur le territoire national.
Ce candidat ne devrait jamais avoir exercé de responsabilité gouvernementale ni être entaché d’accusations de malversations, afin d’éviter toute tentative de discréditation. La légitimité et la popularité des grandes figures aujourd’hui empêchées de se présenter, combinées à l’envie du peuple de changement, permettraient à ce candidat consensuel d’obtenir rapidement une légitimité populaire forte.
Mais cela ne saurait suffire sans une mobilisation collective et solidaire : tous les partis politiques doivent accompagner techniquement, financièrement et logistiquement le candidat choisi, afin de maximiser ses chances de victoire et de faire face à un appareil d’État qui mobilisera toutes ses ressources pour conserver le pouvoir. Cette synergie est indispensable, et la victoire dépendra autant du candidat que de la capacité de l’opposition à unir ses forces.
Ne pas participer à cette élection reviendrait à signer l’acte de décès de la lutte pacifique interne, laissant la voie libre au renouvellement de la classe politique par la force des armes, plutôt que par la volonté du peuple. L’histoire récente de notre pays en est une parfaite illustration.
Lorsque l’ancien président Alpha Condé décida de briguer un troisième mandat en 2020, c’est la participation de Cellou Dalein Diallo à cette élection, et la remobilisation massive de ses militants durant la campagne, qui ont permis de maintenir vivante la résistance démocratique. En revendiquant sa victoire après le scrutin, il a mis à nu la fraude électorale et contribué à délégitimer le régime.
C’est précisément ce contexte de tension politique, alimenté par la mobilisation pacifique de l’opposition, qui a ensuite servi de prétexte aux militaires pour justifier leur coup d’État. Cet épisode prouve que la participation électorale peut être un levier politique, même dans un environnement autoritaire, car elle révèle la vérité d’un rapport de force et expose les dérives du pouvoir.
Dans une telle période, il ne s’agit pas de renoncer à nos principes, mais de les adapter à la réalité. La véritable opposition doit savoir se réinventer pour survivre, s’unir pour résister et participer pour exister.
La démocratie n’est pas un idéal lointain, c’est une construction permanente. En Guinée, elle ne renaîtra que si ceux qui y croient cessent d’attendre les conditions parfaites pour agir.