Au lendemain de la célébration de nos indépendances, il est impératif de porter un regard lucide sur ce que nous avons réellement accompli et, surtout, sur ce que nous devons encore faire. L’indépendance politique, obtenue après de longues luttes, est un acquis majeur, mais elle demeure insuffisante lorsqu’elle n’est pas accompagnée d’une véritable indépendance économique. Ce constat est d’autant plus préoccupant que, plus de soixante ans après la fin officielle de la colonisation, nos pays continuent de dépendre massivement des importations, y compris pour des biens que nous sommes tout à fait capables de produire localement.

Aujourd’hui, il est paradoxal de voir que nous affichons une certaine fierté à importer des marchandises issues de notre propre savoir-faire culturel et artisanal. Avant l’arrivée des colonisateurs, l’Afrique possédait des systèmes d’organisation économique et sociale adaptés, autonomes et résilients. Nos ancêtres vivaient dans une harmonie qui, malgré les aléas et difficultés, leur permettait de résoudre efficacement leurs problèmes. Ce modèle ancestral, fondé sur le respect des ressources locales et la valorisation des talents endogènes, mérite d’être revisité et réadapté à notre époque.

Je me rappelle, lors de mon enfance, que notre communauté comptait de nombreux artisans : tisserands, cordonniers, forgerons, et une multitude d’autres, tous porteurs d’un savoir-faire précieux. Ces artisans animaient nos espaces et villages, et leurs productions faisaient la fierté de nos sous-préfectures. Lors des manifestations appelées affectueusement Diabho, nous recevions des touristes venus admirer et acquérir ces produits, véritables symboles de notre identité et de notre culture.

Cependant, de nos jours, nous constatons avec amertume que nous faisons souvent la promotion de produits fabriqués par des étrangers, venus nous revendre nos propres créations à des prix exorbitants. C’est le cas, entre autres, des Padhé Gouri, du leppi, du bazin que beaucoup appellent Faré Yaré, ainsi que d’une large gamme d’autres objets locaux que nous portons fièrement, tout en contribuant involontairement à la mort de nos propres productions artisanales. Ce paradoxe illustre à quel point l’indépendance politique n’a pas su se traduire en une renaissance économique véritable.

Au-delà de l’artisanat, de nombreuses activités économiques traditionnelles qui faisaient longtemps la richesse de l’Afrique ont perdu de leur importance aux yeux de nos populations. Les bijoux, le tissage, la cordonnerie, la forge, ainsi que des produits agricoles locaux tels que le fonio, le sorgho ou le mil sont désormais souvent délaissés. Ils sont concurrencés par des produits importés, en particulier ceux venus de Chine ou d’Occident, qui envahissent nos marchés avec des prix qui sont parfois très bas. Cet envahissement a conduit à la marginalisation de nos artisans, tisserands et producteurs locaux, menaçant de faire disparaître ces savoir-faire précieux qui auraient dû être source d’emploi et de fierté.

De même, les industries locales, notamment le textile, ont souffert de cette concurrence, incapables de rivaliser avec les produits manufacturés importés. Par conséquent, des métiers traditionnels ont été oubliés, des talents délaissés, tandis que des régions entières se sont appauvries économiquement. Cet abandon ne profite ni à nos économies ni à nos communautés, mais plutôt à des intérêts étrangers qui exploitent nos marchés et nos ressources.

L’indépendance constitue donc plus qu’un simple jalon historique : elle doit être perçue comme un éveil et un engagement pour relever les défis qui se dressent devant nous. Malheureusement, nombreux sont les États africains qui n’ont pas su saisir cette opportunité. Ils ont plutôt accordé la priorité à des préoccupations superficielles, laissant en arrière-plan les questions essentielles liées au développement économique, à l’emploi et à la valorisation des talents.

Après plus de six décennies d’indépendance, nous persévérons dans une dépendance excessive aux importations, y compris pour des biens que nous pourrions aisément produire localement. Cette situation a des conséquences dramatiques sur le tissu économique et social : beaucoup d’artisans, d’ouvriers et de métiers traditionnels se retrouvent aujourd’hui marginalisés, incapables de vivre décemment de leur travail.

Comme le soulignait un observateur avisé, en Afrique, on tue le talent. Trop souvent, la médiocrité est encouragée tandis que les véritables porteurs d’idées novatrices sont marginalisés. Les pays africains célèbrent parfois les moins compétents et rejettent ceux qui peuvent véritablement faire avancer les choses. Cette réalité explique en grande partie la fuite des cerveaux dont nous souffrons : les jeunes diplômés et les experts, formés souvent à l’étranger où ils sont reconnus, hésitent à revenir, faute de conditions favorables, de structures solides et d’opportunités à la hauteur de leurs compétences.

Ce phénomène de fuite des cerveaux fragilise encore davantage notre développement, mettant en péril l’avenir économique et social de nos nations. Il est urgent de réinventer nos modèles économiques, à partir de nos ressources, de notre culture et de nos talents. Il faut encourager et protéger artisanalement les savoir-faire locaux, moderniser nos industries, valoriser nos entrepreneurs et réhabiliter nos métiers traditionnels.

Au-delà des discours et des déclarations politiques, des actions concrètes sont nécessaires pour que l’indépendance cesse d’être un simple anniversaire et devienne un véritable levier de transformation. Cela passe par des politiques publiques audacieuses, des investissements dans la formation, la recherche et l’innovation, ainsi que la promotion d’une économie inclusive où chaque citoyen peut trouver sa place et contribuer au développement collectif.

Il est temps de renouer avec la fierté de nos racines culturelles et économiques, non pas en slogans, mais par des actes forts qui permettront à notre indépendance d’être complète et durable. Ce chemin est exigeant, mais il représente la seule voie pour bâtir des sociétés prospères et justes, capables de relever les défis du XXIe siècle.