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Voyage en taxi-brousse (Alimou Sow)

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J’ai rompu une trêve de près d’une décennie en reprenant un taxi-brousse pour voyager. Pour aller chez moi, au village.

Un peu par contrainte compte tenu de l’urgence du voyage, beaucoup parce que la route ne se laisse pas rouler dessus par n’importe quel véhicule, surtout pas par une petite voiture citadine, au risque de la ramener en pièces détachées.

Décision difficile tant j’ai des souvenirs traumatisants de voyage en taxis « 505 », ces increvables ânes de nos routes déglinguées.

Emprunter une Peugeot 505 sur les routes de Guinée, c’est vivre une expérience unique où la surcharge, les risques d’accident, la poussière ou la pluie, le foutage de gueule permanent, la soif, la fatigue, la chaleur, la douleur et les mauvaises odeurs se côtoient et forment un cocktail explosif.💥

Je passe sur les vomis en sac plastique qu’on balance par la fenêtre, à défaut de les déverser directement sur vos épaules quand les haut-le-cœur ne peuvent être contenus. Ce n’est pas systématique mais ça arrive. 🤮

Je cumule plus de 25 ans d’expérience en taxi-brousse sur divers trajets, la pire étant un voyage de 2012 où une Peugeot 505 de 7 places a convoyé, dans les conditions décrites précédemment, une colonie de 21 personnes de Labé à… Banjul, en Gambie !😱

Je vous vois écarquiller les yeux et dresser les oreilles d’incrédulité, pourtant je ne mens pas et n’exagère rien. Mais c’est une autre histoire…

Cette fois c’est différent. Je voyage avec un minimum de confort en rachetant une des deux places du siège-avant. Évolution notable puisqu’il arrive qu’on y installe jusqu’à trois adultes, le troisième s’asseyant à califourchon sur le rebord du levier de vitesse une jambe du côté chauffeur.

C’est dans ce triangle atypique que le conducteur passe les rapports de vitesse tout le long du voyage, obligeant le malheureux passager à s’écarter constamment. Une position qui a inspiré un nom vulgaire en Poular que je vous épargne ici pour ne pas transformer ces lignes en YouPorn. Passons !

Embarquement à l’aurore dans un quartier clair-obscur de la banlieue de Conakry. Le chauffeur, petit, la soixantaine, barbe poivre et sel, termine d’empiler et de bâcher les bagages sur le toit du véhicule. Il affiche une mine de déterré.

De fait, il n’a pas le nombre normal de passagers qu’un autre chauffeur lui aurait piqués. Donc pas beaucoup de bagages. Fatale diminution de ses recettes. Première poisse pour lui.

Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, on s’embarque donc à 6 au lieu de 9 personnes habituellement. Du jamais vu en termes de confort pour les passagers d’une 505. Le chauffeur jure de porter l’affaire auprès du Syndicat à son retour à Conakry. J’ai envie de dire Anawotagui.

L’intérieur du tacot dégage un parfum indéfinissable, mélange de poussière, de fumée, d’huile moteur, de graisse et de gasoil. Les fauteuils sont d’époque, c’est-à-dire de 1992, date d’arrêt de fabrication de la Peugeot 505.

En près de 30 ans, ils ont été témoins de plusieurs générations de paires de fesses à géométrie variable et de… pets stratifiés en plusieurs couches fossilisées. 😅

Un plafond de ferraille et un tableau de bord en état de mort clinique complètent le confort de l’habitacle. Mais l’essentiel est ailleurs : le moteur qui tourne et entraîne les quatre roues motrices.

Les portières en rade de la Peugeot se referment sur nous, cap sur Télimélé.

Je suis tout excité de découvrir le nouveau trajet Conakry-Téliméle qui passe désormais par Dubreka au lieu de Kindia à cause du barrage de Souapiti dont le lac artificiel a submergé une bonne portion de l’ancienne route. Le nouveau trajet est plus court et en meilleur état dit-on.

Petite halte à Koubia (Dubreka) pour le petit-déjeuner. Il n’est que 9H mais c’est riz-sauce au poulet « importé » au menu dans cette gargote. Le chauffeur déconseille à cause du poulet « importé », tout le monde se range derrière son avis d’expert et se rabat sur une omelette gorgée d’huile dans un café du coin. On pense que c’est plus sain. Je souris et me contente d’une petite bouteille d’eau pour stabiliser le morceau de pain pris tôt le matin à la maison.😉

On reprend la route, direction Souapiti à quelque 70 bornes de là. Une belle petite route asphaltée hérissée de checkpoints tenus par les forces de l’ordre. Sans doute pour sécuriser les barrages Souapiti et Kaleta situés sur le Konkouré qui sert de frontière naturelle entre Dubreka et Télimélé. A chaque fois, le chauffeur tend une main non vide pour voir la barrière s’abaisser. Pour les passagers, le défaut de pièce d’identité est sanctionné 10 000 GNF. C’est comme ça.

A mi-chemin, la 505 hurle sur une petite côte, le chauffeur se gare et soulève le capot. Son intuition est exacte : rupture du câble de l’accélérateur. Deuxième poisse ; mais sa sérénité est contagieuse. Il ouvre une grosse caisse en bois rangée dans le coffre. Un fatras de pièces détachées, la « Casse » de Madina en miniature. Il en sort un câble neuf et remplace celui rompu en moins de 20 minutes. On se remet en route.

A 5 km de Kaleta, virage à droite sur une piste caillouteuse qui grimpe. Sur la crête, surgit le gigantesque chantier du barrage de Souapiti. Une bête en béton haute de plusieurs dizaines de mètres coupe le lit du fleuve et tente de combler l’entaille faite sur la chaine de montagne. En contrebas de l’infrastructure, un grand pont rendu lilliputien par comparaison enjambe le Konkouré et relie Dubreka à Télimélé. La vue en plongée sur le vaste lac artificiel est imprenable. Je savoure.❤️

Après la traversée du pont, la piste ocre monte et longe la dorsale guinéenne, majestueuse chaîne de montagnes qui court sur une bonne partie du pays dessinant une raie granitique de la Basse Guinée au Foutah oriental.

Dans un paysage de canyons, de petites maisons similaires sont accrochées sur des collines aux versants abrupts. On m’explique que ce sont les villages reconstitués des déguerpis du barrage hydroélectrique. La vie y semble bien morne. 😕

La beauté du paysage ne m’empêche pas de suivre l’évolution de la 505. Sur une descente modérée, je sens le chauffeur à la peine pour freiner. Il y parvient au bout de plusieurs coups de frein nerveux. Nouvelle ouverture du capot.🤔

Cette fois c’est une durite qui se serait débranchée à cause des secousses. Celle qui emmène de l’air au système de freinage. De mon point de vue, on vient de frôler l’accident et probablement la mort, mais pour le chauffeur, habitué du trajet et aux risques, c’est un incident mineur. Il rebranche le tuyau, referme le capot, teste la résistance de la pédale de frein et c’est réparti.

Il est 13H, les secousses et la chaleur moite qui règne dans l’habitacle ont déjà dilué le petit-déjeuner et imposé le silence. Tout le monde est fatigué de critiquer encore et encore le deux poids deux mesures du goudron qui s’arrête de l’autre côté du fleuve « alors que Télimélé le mérite autant que Dubréka ». Quelqu’un se demande même si on aura le courant du barrage une fois disponible.

Nous prenons la pause déjeuner au lieu-dit Sougué-Lamban, un patelin enraciné au pied de la Dorsale dans un décor qui incite à bivouaquer. Mais on est là pour manger.

Une célèbre gargotière, jadis établie sur l’ancien tronçon Kindia-Télimélé, a emménagé ici. Elle vend du riz à la viande boucanée particulièrement prisée des routiers et des passagers. On lance la commande à l’exception d’une maman prise de nausée qui évite de manger pour ne pas vomir. La pauvre.

A la fin du repas, les avis sont unanimes : déception ! Nous avons eu, en effet, la malchance de tomber sur la sauce du fond de marmite agrémentée d’une main trop généreuse en sel. Seul bémol : les mangues et les bananes vendues surplace sont à la fois bon marché et délicieuses, on s’en régale avant de repartir.

Le soleil de mars frappe la terre avec le marteau de Tor. Un groupe de paysans devise sous une hutte en paille.

La piste couleur Foscao fait des virages en épingles se faufilant toujours entre la chaîne de montagnes à gauche et le fleuve, à droite. Les nouveaux villages des déguerpis s’enchaînent dans une enfilade en dents de scie.

A Kassery, la route s’engouffre dans un magnifique affleurement rocheux frôlant un bloc de plusieurs tonnes à droite. On débouche sur l’ancien tronçon Kindia-Télimélé, fin de la piste reprofilée. Le chauffeur annonce que c’est le début de l’enfer entre creux et bosses à faire cracher les poumons. 🙄

Dernière pause pour la prière de 14H dans une mosquée en bordure de route. L’eau de l’ablution est stockée dans d’énormes jarres de ciment. Comme le fond de marmite de la dame de Sougué-Lamban, l’eau est trouble au moment où on débarque. Alors que j’hésite de me rincer la bouche avec, plusieurs voyageurs arrivent et boivent de grandes lampées, se passant le même gobelet, avant de remplir les bouilloires plastiques et prendre leurs ablutions. Euye ! Corona et Ebola, allez vous faire foutre. 😅

On se remet en route et comme une preuve de l’affirmation inquiétante du conducteur sur l’état de la route, un pont de fortune se profile. Deux supports et des planches pas plus larges que le gabarit du taxi. Il faut donc positionner le véhicule au millimètre près pour traverser. Toute mauvaise manœuvre entraînerait la chute. Je fais confiance au chauffeur même si j’ai un doute sur sa vue. Ça passe. Ouf ! 😊

Nous voici devant le dernier obstacle à franchir avant d’arriver à Télimélé : les célèbres cols du mont Loubha. Nouvel incident signalé sur la voiture, crevaison de la roue avant. Troisième poisse. Toujours sur-équipé, le chauffeur branche une pompe automatique à la batterie et gonfle le pneu en un rien de temps. On monte.

A peine le dernier virage en épingle franchi, nouvel arrêt pour constater que le pneu est sérieusement endommagé. Il faut le remplacer. La « Casse de Madina » est de nouveau à terre.

Les femmes s’en vont se reposer à l’ombre des arbres, les hommes prêtent main forte au conducteur pour poser des cales, desserrer la roue et monter le cric. Tout se passe bien jusqu’au dernier écrou. Grippé et abimé la clé de roue ne peut pas le desserrer. Chacun apporte sa suggestion mais aucune solution viable. Blocage total. Quatrième poisse !😏

Que faire ? Un vieil homme sur une moto ralentit, s’enquiert et conseille d’utiliser une pellicule de tôle pour agripper l’écrou. Bonne idée mais où trouver ce morceau de tôle ? On cherche dans les alentours des canettes vides, cette fois les femmes sont mises à contribution. Pas de canettes vides. En zone rurale, elles sont vite ramassées et réutilisées comme unité de mesure des céréales. 🌏

La sérénité du chauffeur se mue en exaspération. Il parle très mal quelqu’un qui a le malheur de l’appeler au téléphone dans ces entrefaites. Le correspondant insiste, il décroche l’appel et fout le téléphone dans la poche pour punir le récalcitrant. 😀

Entre deux lamentations, je comprends la source de sa colère. La roue crevée est complètement foutue, or une roue de 505 est vendue jusqu’à 750 000 francs selon lui ! Ce qui est rare est cher. Soit, plus que la recette de son voyage lui qui se déplace déjà presque à moitié vide. Le pauvre. 😞

L’entraide étant la norme sur ces routes de l’impossible, un autre chauffeur arrive et nous prête sa clé de roue et aide à desserrer et monter le pneu secours. On peut repartir après trois-quarts d’heure de galère.

Voici le centre-ville de Télimélé qu’un petit serpent de bitume fend dans le sens de la longueur. La traversée est aussi rapide qu’une éjaculation précoce😅. Mais les toitures des maisons sont moins sales qu’il y a quatre ans. Le développement de la Guinée rurale se fait à doses homéopathiques….

Télimélé, Saré-Kali, Bolongo, Sogoroyah, autant de villages plus moins opulents où le béton et la tôle ont remplacé le banco et la paille grâce à l’effort des fils ressortissants. La modernité mange la tradition de l’habitat.🤔

Le disque du soleil est déjà rouge quand la 505 s’engage sur la piste qui serpente à travers les falaises dorées de Sogoroyah en direction de Brouwal Sounkin. Du calcaire affleure sur les parois rocheux, même si la craie nous vient de loin. C’est un autre débat…

Mon voyage s’achève à Pountougouré, chez moi, un peu après 20H au bout d’une journée typique de voyage en Peugeot 505 tel que j’en connais depuis des décennies. L’essentiel c’est d’arriver en un seul morceau. Dieu merci. Une nouvelle longue trêve s’impose. Mais j’ai aimé.❤️👌
FIN

Alimou Sow

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